Parenthèse

Je l’ai revu quand je suis retournée aux racines de l’innocence. Je l’ai regardé partir dans ce froid dimanche pour ne plus le voir revenir, ni dans un rêve, ni dans un cauchemar. Ce jour d’anniversaire, la mort dans le cœur. Cette fois il ne partait pas au secours d’autres, ni de lui, ni de moi.

Les jeux enfantins avaient de toute façon déjà disparu. À croire que les scènes cinglantes sont plus amusantes. De toute évidence, elles conviennent bien mieux aux crétineries, dans un néant de justification morale. Mais je ne reste pas agenouillée au sol pour obéir à une quelconque domination, à l’image de l’homme trop souvent cruel et absurde, qui ne sert qu’à manipuler et asseoir la perversion d’un commandement, d’un pouvoir, et ce, même sous les coups, même sous la menace. Pauvre de vous.
De mal en patience, sans la résignation et avec pas mal de peines, la vie s’usait déjà, malgré les rêves qui s’étendaient alors à perte de vue. C’est comme un arrière goût de n’être là que pour apprendre à mourir en fait. Il est à se demander si nous ne sommes pas toujours au temps des sacrifices d’enfants.
Et puis l’aurevoir s’est ordonné, mais sans moi. Alors j’ai souvent été quelque part à l’attendre, à lui faire de la place à chaque endroit où j’ai posé un pied… à cet aurevoir qui n’est jamais venu. Celui qui s’imagine sans limite, qui s’échine à questionner, quand bien même l’absence est devenue plus longue que la présence.
J’ai sans doute aimé croire à un soulagement, sur le moment. La consolation aura été courte, illusoire. J’ai été jetée dans l’inexistence du plus naturel et plus beau sentiment qui devrait être. Chemin faisant, une blessure en appelle une autre, et puis une autre … et puis une autre … Quelquefois, j’ai cru me perdre dans des aliénations familiales.
Un peu de répit et de repos avant que ce dernier ne s’impose, à son tour, serait-il possible ? Et sans être forcée pour cela de prêter serment d’allégeance, parce-que ça, toujours pas. Ça n’arrivera pas, et c’est non, je ne dis pas merci pour ces prétendus présents, ces prétendus consentements salutaires. Tant pis si je dois aller tout droit rôtir en enfer, un ton qui m’est trop menaçant d’ailleurs. Mais je ne suis ni brebis, ni mouton, ni bergère. Il n’est que ma libre pensée, infinie.

Ce n’est pas tant ce qui a compté, qui ne s’oublie pas, mais plutôt ce qui a méchamment marqué. Les mensonges qui se prennent pour des vérités, les promesses vides de sincérité. Les gens, souvent, non pas dénués, mais gerbant de tout ce qui a fichu le camp, et dans les deux sens. Ça change à jamais, ça peut ronger à jamais, telle une humanité qui s’ingurgite elle-même, courant tout droit à l’occlusion. Mais ça ne s’oublie pas. J’ai pourtant frotté, insisté, mis de côté, enterré profondément, rien n’y a fait. Pire, ça finit en trou béant. Et je ne suis pas du genre à implorer sur les bancs des églises. Il y fait aussi froid que dans un manque de réconfort, des démons y trouvent un abri et, à mon sens,  trop de morts au nom d’un “Tu ne tueras point”.
J’ai pensé aller frapper aux portes de ma folie. Peut-être que je l’ai fait et que j’y suis restée. Je ne suis plus sûre de rien, pas même s’il est une raison à tant de larmes, de celles qui s’ignorent difficilement, contrainte spectatrice que je fus d’une survie au sein même de la loge. Ces larmes qui sont restées intactes dans leur détresse et leur douleur, celles qui imbibent chaque mot de ce texte, encore. Mais rien ne peut plus être sauvé, même avec des réponses. Les exécutions rassemblent et ont toujours la place de choix. Et puis quelques litanies, un zeste de déni et des excuses en veux-tu en voilà noyées dans l’éphémère allègent l’existence, non ? Pratique pour périr plus vite dans une lente agonie, quoique jouissive pour certains, à l’allure souvent mal fichue, craspec. Après tout, que reste t’il  à perdre quand l’âme est déjà morte ?
La mienne s’émerveille toujours devant la magnificence des tragédies qui souffrent de siècle en siècle, elle tressaille sur les notes des Requiem et se nourrit des pensées des illustres. Mon sens commun est différent et je suis finalement plus attachée à mes ours en peluche, fidèles dans leur tendresse sans mesure. Ils sont plus doux qu’un lit de pétales de roses qui masque à peine les épines. Ils sont plus sages que les donneurs de leçons et les pères protecteurs. Ils écoutent.

J’ai voulu croire à tout certains jours. Je sais seulement que je peux croire à plus rien les lendemains.

Le déversoir à mal être s’éloigne dans son ultime marche au clair de lune, là où s’achèvent les pardons, si toutefois ils doivent être. L’essentiel est présent, malgré tout. Je connais la destination, chacun aura son dernier souffle, inutile de se bousculer. Je préfère m’envoler de cette longue file d’attente de suicidés collectifs et me ravir du voyage.
La parenthèse, si brusquement mal ouverte, se ferme. Il n’y a plus rien à en dire.

 

« Sonate au clair de lune » n°14 en do dièse mineur, opus 27 n°2
Adagio Sostenuto de Ludwig van Beethoven

 

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