Les amarres

J’avais laissé un vieux bagage au fond d’un train, pour quand les tête-à-tête ne feraient plus que se croiser.
Ce n’est pas très loin là où je vais. Je ne demande pas la lune.

Je plie deux trois pulls que je cale entre “L’être et le néant” (*), y ajoute un bonnet en laine pour partir dans l’aurore à la rencontre des arbres, et une peluche pour seule mémoire et fidèle compagnon de voyage.
Je n’oublie pas ma plume pour dessiner les lettres de tous ces instants si beaux d’être éphémères qu’il faille les écrire. Ainsi les mots résistent mieux au vent.

Guère plus.

Là-bas se trouve l’authentique. Ne parler que pour s’aimer. Où se taire, et s’écouter.

J’abandonne bien volontiers la férocité des grands automutilés, les corps impurs aux religions démoniaques, les bassesses navrantes qui croupissent au fond de certains regards qui s’éloignent. Je reste sourde aux appels cadavéreux des nombrils honteux, entassés les uns sur les autres, englués comme des insectes pris au piège d’une trop belle lumière, aveuglante. Les décors se désolent et suintent un peu partout, des portraits s’affaissent, des sabliers s’effondrent sur eux-mêmes et les gueules de loup n’ont plus que le seul aspect de grands dévoreurs assoiffés.
– Pouvoir, Ô mon beau pouvoir, dis-moi qui est le plus beau !

J’ai suivi des traces sur des sentiers trop étroits à mon égard. Certaines tournent en rond, encore et encore. D’autres piétinent sur place comme des enfants capricieux qui tapent des pieds – Chuuuuut … je ne m’entends plus.
J’ai succombé, par le passé. Je me suis écorchée à corps perdu contre ce qui rôde dans les dehors. Des peines, beaucoup de peines, des souvenirs mensongers, des « c’est pas pour de vrai ».
– Bas les pattes, malotrus ! Et bon vent, névroses tant chéries.

Les sanglots sont consolés. Les oreillers ont séchés.
J’ai lâché la corde des absences, des désillusions. Les ombres se taisent dans l’oubli.

Je tourne mes talons et prends mon envol à destination de mes quêtes intemporelles. C’est tellement grand en dedans ! Mon esprit est de toutes les évasions, des anneaux de Saturne aux blés fraîchement coupés, de quelques accords de guitare à l’écho sourd de voix druidiques. Mon âme bohème vagabonde au gré de sa liberté passionnelle. Je m’empresse dans mes pas avec en poche ma vieille clef, un peu tordue, un peu rouillée de pluies salées.
Elle libère le passage vers le sein des possibles, là où je chante un seul nom comme une promesse d’éternité, croyance incertaine mais ô combien espérée.

– Coucou ! Je ne fais que passer. Est-il quelqu’un ? 

* Jean-Paul Sartre – 1905 – 1980 – Écrivain et philosophe français, représentant du courant existentialiste  – “L’homme est condamné à être libre”

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