Pourtant refuge intime et personnel, j’ai dû te brûler comme une fâcheuse mémoire. Il y a longtemps. Mais pour autant ces mots à l’encre noire pleurés sur tes pages blanches sont restés ancrés, indélébiles dans mes entrailles. Seules les couleurs sont parties en fumée, plus légères. Pourtant si précieuses.
J’ai depuis oublié sur ce vieux piano les partitions de mon enfance. Le chant des comptines ne bercent que les angéliques. « Les malheurs de Sophie » (1) se sont accommodés de mon prénom, façon mode de maintenant, et toujours bien de chez nous. Mais la petite fille modèle ne veut plus s’éditer.
A l’époque, fatiguée, sans doute, d’être levée pour assister au prélude d’un drame annoncé, c’est seulement quand le tapage et les exigences se taisaient que je pouvais parler en silence. Pendant des pages et des pages.
Personne ne viendra me border de toute façon.
As-tu retrouvé ce mot affectif, si loin que je ne m’en souviens pas ? Peut-être ne s’est-il qu’effacé sous une larme, si vite versée.
J’ai défendu mes châteaux et les blancs chevaux, tel ce chevalier dans cette légende, combattant ce monstre du Moyen-Âge aux bords de cette rivière. En vain sous une autorité sourde bien décidée à trier, ridiculiser et jeter mes trésors. Plus tard, les jouets meurtris ont déguerpi. Certains sont jetés en pleine nature, faut pas trop se plaindre. Les contes de fées sont de courte durée, malgré ce que j’ai pu t’écrire. Ils ne sont que des lectures. Aujourd’hui je somme le crapaud de ne plus m’approcher.
Est-il un quelque part où dorment les rires des innocents ?
Les abois déchirants n’ont cessé de faire écho et sont devenus insupportables à entendre, et j’ai rompu quelques traditions. Servir et desservir, dans le déplaisir et les paroles meurtrières – Toc toc ! Relève-toi et ouvre la porte ! Il est si tard pour une quête salvatrice, si tard pour courir dans ces rues où des ombres guettent derrière la lueur orangée de tous ces grands lampadaires. J’apercevais aussi des reflets sur les vitres des fenêtres encore éveillées, d’autres portes entrouvertes d’où s’échappaient les non-dits qui dévoilent tout. Et au-dessus, les étoiles muettes que je scrute toujours comme autant d’ailleurs possibles, presqu’attendus.
« Qui aime beaucoup châtie juste ». J’ai trouvé l’intrus. Et te souviens tu de ces pauvres opprimés agenouillés, qui imploraient ?
Apparemment nés sous le signe du mauvais sujet – Coupables ! Mort par pendaison !
Alors qu’il en soit ainsi.
J’ai survécu, d’autres pas, et paix à vos âmes. Je m’attache à la mienne.
Voilà, cher journal. Te remercier d’avoir partagé tous ces moments avec moi, d’avoir su seulement m’écouter dans mes écritures noctambules. Je clos cette ultime entrevue sur ces pages marquées d’être restées trop longtemps ouvertes. Je te laisse veiller sur les espoirs que je t’ai confiés et sur cette petite plume blanche et noire, trouvée un après-midi d’automne.
N.C.
(1) Roman publié en 1858, écrit par La Comtesse de Ségur.


